Se questionner pour mieux comprendre
Qui sont les personnes vulnérables face à la représentation fictive de comportements suicidaires?
Les personnes vulnérables sont, entre autres :
- Celles souffrant de dépression;
- Celles qui pensent au suicide;
- Celles ayant fait une tentative de suicide;
- Celles ayant perdu un être cher par suicide.
Pour ces personnes, le fait d’être exposées à des comportements suicidaires peut exercer une influence. Il est donc responsable de s’interroger sur la manière d’aborder le sujet dès le début du processus créatif.
Le public jeunesse présente également une vulnérabilité accrue à la représentation fictive des comportements suicidaires. Les enfants et les adolescents sont en effet plus susceptibles de s’identifier à un personnage ayant un comportement suicidaire. Ce phénomène d’identification peut les conduire au développement d’idées ou comportements suicidaires, surtout s’ils ont l’impression de vivre les mêmes difficultés que le personnage et que celles-ci sont présentées comme sans issues positives possibles.
De plus, la multiplication des plateformes de visionnement en continu (streaming) rend les films et séries accessibles à la demande et permet le binge-watching. Cette pratique immersive, répandue chez les jeunes, peut contribuer à l’isolement de certains. L’omniprésence des œuvres de fiction dans nos quotidiens augmente potentiellement l’exposition de toute personne à des contenus abordant les comportements suicidaires.
La représentation d’une scène de suicide ou de tentative dans une œuvre de fiction : quels enjeux ?
La description de l’acte et du moyen utilisé par la personne décédée par suicide sont des éléments importants qui nécessitent une attention particulière. Il a été démontré qu’un portrait détaillé de ces éléments amène certaines personnes à poser un geste suicidaire en utilisant le même moyen.
Certains moyens pour se suicider sont devenus plus communs à la suite de leur description détaillée dans les médias. Par exemple, selon une étude de Stack et Bowman, 77 % des gens ayant fait une tentative de suicide rapportaient que leur information sur les moyens de se suicider provenait des médias, incluant les films et la télévision.
Dans les années 1990, une étude de Hawton et son équipe avait analysé l’impact d’un épisode télévisé d’une série médicale britannique mettant en scène une surdose médicamenteuse. La diffusion de l’épisode avait été suivie d’une augmentation significative des cas de prise en charge dans les hôpitaux pour autoempoisonnement.
Si le moyen ou l’acte est exposé dans l’œuvre, vous pourriez vous questionner sur la longueur de cette représentation et le niveau de détail quant à la méthode utilisée. De cette façon, vous seriez en mesure de mieux évaluer l’impact potentiel de l’œuvre sur les personnes vulnérables. Par exemple, dans le cas d’un suicide par surdose, vous pourriez choisir de ne pas montrer le nom, le genre et la quantité des substances ayant été ingérées.
Il est également possible de se questionner lorsqu’une œuvre présente de nouvelles méthodes ou des méthodes peu communes, de même que les plus létales. Certaines recherches ont en effet démontré que l’exposition à de nouvelles méthodes pouvait mener à une augmentation du recours à celles-ci.
Représenter un suicide de manière indirecte
Dans le cas où vous ne souhaiteriez pas représenter directement un suicide ou une tentative de suicide, il est possible d’utiliser le témoignage d’un personnage, comme un membre de la famille, pour signifier qu’un personnage a mis fin à ses jours ou a tenté de le faire.
Les conséquences d’un geste suicidaire
On peut aussi prêter une attention particulière au contexte entourant un geste suicidaire, car le fait de perpétuer des mythes peut avoir certains impacts. En effet, les recherches montrent que représenter un suicide comme étant un acte facile, rapide et sans douleur peut avoir une influence sur une personne vulnérable et l’amener à faire une tentative.
La plupart des personnes qui tentent de se suicider veulent cesser de souffrir. Or, il faut savoir qu’il n’existe pas de moyen sûr et sans douleur de se suicider. De nombreuses personnes survivent à leur tentative de suicide et subissent des impacts graves et à long terme sur leur santé et leur qualité de vie. Poser un geste suicidaire n’est donc pas simple ni apaisant et ne résout pas les problèmes. Le fait de souligner la douleur et les conséquences potentielles d’un geste suicidaire contribuent à démystifier le phénomène.
De plus, un geste suicidaire se place toujours dans un contexte complexe, et la récupération après une tentative de suicide peut prendre du temps et du soutien. Il est donc recommandé d’éviter de montrer une personne revenant à une vie normale très rapidement après une tentative, afin de ne pas banaliser le geste.
Pour poursuivre la réflexion
- Est-ce qu’une représentation moins explicite affectera nécessairement l’effet dramatique de ma création?
- Est-ce que ma représentation pourrait être considérée à tort comme une solution à un problème?
Une représentation authentique et réaliste des comportements suicidaires peut-elle prévenir le suicide?
On considère préventive une représentation fictive des comportements suicidaires qui s’ancre autant que possible dans la vie réelle, sans simplification inadéquate, glorification, sensationnalisme ni romantisme. Le suicide n’est ni prestigieux ni romantique, c’est pourquoi nous suggérons de ne pas laisser cette impression au public. Le suicide est un geste irréversible posé face à une souffrance ressentie comme étant permanente et insurmontable. Et la plupart des personnes qui reçoivent de l’aide alors qu’elles se trouvent dans ce moment de désespoir décideront finalement de ne pas se suicider.
Le contexte entourant un suicide
Certains mythes et fausses idées sur le suicide sont tenaces. Le suicide est un phénomène complexe et multifactoriel. Il ne se réduit pas à une cause unique. Il est plutôt le résultat d’un cumul de différents facteurs de vulnérabilité et de moments critiques.
Le fait d’associer le suicide a une cause unique peut malheureusement entrainer une personne vulnérable qui vit cette même situation à s’identifier au personnage décédé par suicide, et ainsi, à poser un geste suicidaire.
Il est également important de mentionner qu’un acte suicidaire est d’ailleurs généralement précédé d’idées suicidaires, mais aussi de signes de détresse dans la plupart des cas.
Par exemple, une personne ne se suicide pas uniquement à cause d’une rupture amoureuse. Toutefois, cette rupture peut agir comme un évènement déclencheur dans une situation au préalable complexe (historique d’abus, intimidation, enjeux de santé mentale ou de consommation, perte financière, etc.)
En comprenant ce phénomène et en veillant à retranscrire cette complexité dans vos œuvres, vous pouvez contribuer à déjouer les fausses idées et à lever certains tabous qui entourent le suicide.
Le soutien de l’entourage
De la même façon, une représentation réaliste pourra montrer le fait que les personnes vulnérables sont entourées d’individus qui travaillent avec elles, les soignent, les aiment, prennent soin d’elles, etc. Un suicide, une tentative de suicide ou des idéations suicidaires ont un impact important également sur les proches, qui réagiront tous différemment.
Une histoire s’ancrant dans la réalité pourra par exemple mettre de l’avant les répercussions du suicide sur l’entourage, les professionnels et les intervenants communautaires, en faisant attention de ne pas blâmer la personne en détresse.
Pour poursuivre la réflexion
- Comment ma représentation pourrait-elle offrir davantage de profondeur et de réalisme?
En quoi un accompagnement par des professionnels de la prévention du suicide pourrait être un atout?
Un professionnel de la prévention du suicide peut vous accompagner, selon vos besoins, de la conception à la promotion de votre œuvre. Nous recommandons une implication précoce afin de maximiser, pour le créateur, la possibilité de réaliser un traitement sécuritaire du suicide vis-à-vis des personnes vulnérables. L’accompagnement vient rehausser l’authenticité de la création en vous apportant notamment des informations détaillées et réalistes sur ce que vit la personne qui pense au suicide et sur les mécanismes en jeu dans le processus suicidaire et de prévention du suicide.
L’accompagnement ne vise pas à vous imposer des limites ni à vous dire quoi faire dans votre œuvre.
L’AQPS apporte son expertise sans dénaturer l’idée originale de l’artiste. Notre équipe a déjà pu conseiller plusieurs créateurs et diffuseurs, dont ceux des œuvres suivantes :
- La pièce Roméo et Juliette de William Shakespeare, adaptation de Rébecca Déraspe et mise en scène de Jean-Philippe Joubert;
- Le documentaire Gaétan Girouard : Onde de choc, une idée originale de Jean-Philippe Dion, réalisé par Maude Sabbagh;
- Le téléroman Yamaska d’Anne Boyer et de Michel D’Astous;
- Le documentaire BYE, une idée originale de Jean-Philippe Dion, réalisé par Frédéric Nassif et Mathew McKinnon;
- La pièce Merci d’être venus, texte de Gabriel Morin et mise en scène de David Strasbourg.
Pour un accompagnement personnalisé et adapté à vos besoins, contactez-nous à recherche@aqps.info
Que peuvent m’apporter des échanges avec des personnes ayant une expérience vécue avec le suicide?
Discuter avec des individus ayant une expérience du suicide peut contribuer à créer un portrait plus réaliste et offrir davantage de profondeur à votre œuvre. Ce peut être une personne ayant fait une tentative, une personne ayant eu des idées suicidaires ou une personne endeuillée par suicide. Nous vous recommandons d’être bienveillant et attentif envers la personne qui acceptera de vous partager une partie aussi intime et importante de sa vie. N’hésitez pas à faire appel à un expert de la prévention du suicide pour la mise en contact et l’accompagnement dans ce processus qui peut être complexe.
Comment puis-je renforcer l’espoir et encourager la demande d’aide?
Une œuvre de fiction peut créer de l’espoir et encourager les gens de différentes manières. Par exemple, vous pouvez présenter la trajectoire de vie d’un personnage et de sa résilience face aux difficultés qu’il vit. Vous pouvez aussi exposer l’adversité vécue par une personne qui pense au suicide et la manière dont elle est finalement parvenue à surmonter ses épreuves et ses défis.
Rappelons qu’une personne qui se suicide ou qui fait une tentative de suicide veut cesser de souffrir et non arrêter de vivre. Le fait de montrer qu’une vie est possible après la détresse et la tentative de suicide peut avoir des impacts positifs sur des personnes vulnérables.
Il est également possible de présenter des personnages ayant cherché de l’aide auprès des ressources compétentes et adaptées, et de montrer l’efficacité et la disponibilité de ce soutien. Par exemple, dans les années 1970, la série britannique The Befrienders qui portait sur le travail des Samaritains, organisation œuvrant en prévention du suicide, avait permis une meilleure connaissance de cette ressource auprès de la population, ainsi qu’une hausse de la demande d’aide.
Enfin, une autre façon de favoriser la demande d’aide est de mettre de l’avant le soutien et le réconfort que l’on peut trouver auprès de son réseau social, dont sa famille et ses amis. On peut aussi montrer des proches qui parviennent à apporter leur l’aide, même si c’est difficile.
Comment le vocabulaire utilisé peut-il contribuer à la prévention du suicide?
Le langage et le choix des mots peuvent être porteurs de diverses connotations positives et négatives. Dans une optique préventive, nous recommandons d’employer un vocabulaire qui ne porte pas de jugement et qui ne contribuera pas à stigmatiser ni à discriminer les personnes vulnérables au suicide.
Nous conseillons notamment d’éviter de parler de « choix » ou de « solution » pour qualifier le geste, car ces termes induisent que la personne avait d’autres options, alors qu’en réalité, un individu qui se suicide le fait en ayant l’impression de ne pas avoir de choix. Il a l’impression qu’il n’y a d’autres solutions pour cesser de souffrir.
L’emploi du terme suicide « réussi » ou « raté » peut également mettre au défi certaines personnes de « ne pas se manquer ».
Parler du suicide demeure essentiel, mais le choix des mots peut avoir une influence sur votre public et sur la représentation plus globale des comportements suicidaires dans notre société.
Se questionner en fonction de son médium
Cinéma, télévision, plateformes de diffusion en continu
- Est-ce que mes choix musicaux, d’éclairage ou de décors glorifient, sensationnalisent ou romancent le suicide?
Théâtre
- Est-ce que mes choix musicaux, d’éclairage ou de scénographie glorifient, sensationnalisent ou romancent le suicide?
Visionnez des exemples de représentations du suicide dans des œuvres de fiction qui abordent le sujet de façon préventive.
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